Bonjour à tous,
Merci à Jacques87 pour le travail qu’il fait à ma place ! Il est vrai que je ne donne pas souvent de nouvelles, mais le blog dévore le peu de temps où je parviens à avoir une connexion. Nous sommes restés 5 jours sans même avoir de réseau téléphone dans le Cederberg, Kagga Kamma et le Tankwa-Karoo National Park.
Que dire de ce début de voyage, hormis qu’il nous comble ?
A bien y réfléchir, il y a quand même quelques impressions désormais vérifiées qu’il faut que je vous livre. Mais je tiens à dire qu’elles n’engagent que moi, et que je ne me pose certainement pas en politologue émérite. Je ne suis qu’une personne de passage, et je ne l’oublie pas; ce sont juste MES impressions, rien d’autre.
Sur le blog, je reste légère mais il est des aspects de ce magnifique pays qui sont beaucoup moins…magnifiques.
Je ne vous parlerai pas de la misère, flagrante, qui est l’apanage des noirs, de leurs townships hallucinants, de leur présence constante dans les rues des villes ou des villages, désœuvrés.
Mais je vous dirais simplement ce que je ressens après avoir parlé avec beaucoup de blancs de tous horizons, dans de grandes villes ou au fin fond de petites bourgades, dans leurs propos teintés de non-dits qui ne demandent qu’à être décodés : ils ont peur.
Une peur viscérale, presque désormais inscrite dans leurs gènes pour les générations à venir.
C’est ce qui est le plus frappant.
Depuis la fin de l’Apartheid, un autre Apartheid a vu le jour, qui, lui, ne dit pas son nom. C’est celui des blancs, autrefois maîtres de ce pays, qui, aujourd’hui, en sont devenus les indésirables.
On pourrait longtemps reparler des atrocités perpétrées par une catégorie de Boers durant l’Apartheid, avec l’assentiment tacite ou non du reste de leurs congénères qui, pour la plupart, préféraient sans doute fermer les yeux afin de conserver l’illusion que leur mode de vie perdurerait ad vitam aeternam.
On pourrait aussi évoquer tout ce que ces mêmes Boers ont fait dans ce pays, de ce qu’ils ont bâti en moins de 3 siècles, avec la force d’une volonté chevillée au corps. Ce pays magnifique leur doit certainement beaucoup, et ce qui est mis en avant afin de développer le tourisme, hormis la faune et les paysages, ce sont les constructions, les infrastructures que l’on doit aux blancs dans leur conception. Certes, ce sont les noirs qui ont été les chevilles ouvrières de ces réalisations, mais elles n’auraient pas vu le jour si les blancs ne les avaient pas initiées.
Depuis la fin de l’Apartheid, la situation a radicalement changé pour les blancs. Ils ont de grande difficulté à trouver un emploi, craignent pour leurs retraites, et pire encore, pour leur vie.
On sait ce qui est arrivé au Zimbabwe où les blancs ont été dépossédés de leurs biens, et où les dirigeants en place n’ont qu’un but : expulser tous les blancs du pays. Et c’est une épée de Damoclès suspendue au dessus des têtes de ces mêmes blancs en Afrique du Sud.
Je vais ici retranscrire quelques uns des propos qui nous ont été tenus durant ces premières semaines de voyage, comme un simple témoignage d’un aspect de ce pays qu’on ne peut ignorer lorsqu’on s’y déplace, car il reflète le sentiment de 10% de la population : celui des blancs.
J’ai juste à me souvenir de cet homme qui nous dit ne jamais sortir sans son arme, et dormir avec elle à côté de lui ;
de cette femme, occupant un emploi à l’Office de Tourisme d’un village endormi, qui, retranchée dans son bureau derrière une porte en métal fermée à clef qu’elle n’ouvre qu’après avoir vu qui sonne, me dit que le noirs sont brutaux, qu’ils aiment la violence, et qu’il faut sans cesse être prudent ;
de ce couple qui nous dit qu’on ne peut pas faire confiance aux noirs, et qu’il faut se méfier de toute marque d’intérêt, souriante ou pas ; de cette autre personne qui me disait qu’un noir peut vous tuer pour rien, pour quelques Rands qu’il espérera vous voler ;
de cet homme qui nous parle de la corruption de la police, souvent noire, et sur laquelle il ne faut pas compter ; de cette femme qui me dit qu’il ne faut jamais relâcher sa vigilance, nulle part, car le faire peut nous exposer à des vols ou à une agression ;
de cet homme encore qui nous dit qu’il ne faut jamais s’arrêter pour dormir en dehors d’un campsite, sauf si l’on est dans un lieu désert à plus de 50 km de la 1ère ville ; de ce couple doté d’un véhicule de voyage très complet, mais qui dit ne jamais dormir en dehors d’un campsite protégé, et martèle le conseil en nous disant « ne jamais s’arrêter en Afrique du Sud en dehors d’un campsite » ;
de cet autre homme retranché dans sa maison derrière une clôture électrifiée qui semble trouver normal cette protection destinée à se protéger des noirs.
Et Il y aurait encore bien d’autres exemples de ce type…
Pas plus tard qu’hier, alors que nous traversions un petit village aux abords du Namakwa NP, nous avons vu la modeste maison d’un fermier, étroitement protégée par une haute clôture derrière laquelle 2 molosses, toute babines dehors, renforçaient le côté carcéral de l’ensemble ; et pour parfaire cette impression, une 2nde clôture délimitait le reste du terrain. De son salon, cet homme devait voir 2 rangées de clôtures avant d’apercevoir la beauté du paysage qui l’entourait… et les quelques maisons des noirs à proximité…
Paranoïa, diront certains. Mais lorsqu’on sait que plusieurs centaines de fermiers sont assassinés tous les ans, on peut comprendre la peur de tous ces gens… Et cette paranoïa est-elle réellement fondée ? Nous sommes bien incapables de le dire. On est bien loi, néanmoins, de la complémentarité du Ying et du Yang...
Pour ce qui nous concerne, nous n’avons ressenti que rarement cette animosité, et nous ne sommes que des blancs de passage, sans le poids de l’histoire sur les épaules.
La misère est là, dans chaque ville, chaque village. Les noirs trainent dans les rues, sans but. Savoir que la richesse de ce pays est entre les mains des blancs, même s’ils sont loin d’être tous riches, doit être une tentation pour l’immense majorité des noirs, délivrés des risques liés à l’Apartheid, et aujourd’hui les maîtres de ce pays. Mais des maîtres dont la beaucoup sont d’une pauvreté innommable.
Le ressentiment est bien là, évident. Et comment pourrait-il en être autrement, dans la situation telle qu’elle est aujourd’hui, alors que Nelson Mandela n’est plus là, leur Dieu incontesté, et le dernier garde-fou contre un déferlement de violence anti-blancs qu’il n’avait pas imaginé, et qui cependant pourrait rapidement ruiner les efforts de toute sa vie ?
Gandhi, Mandela, Luther King. Tous ces hommes ont lutté et ont dédié leur vie à une même cause : améliorer la vie des plus pauvres, des opprimés, et établir un équilibre dans leur pays en établissant une équité entre des populations d’origines différentes. Ont-ils réussi ? Sans doute pas comme ils le souhaitaient…
La nation arc-en-ciel est un magnifique rêve, mais à ce jour, selon ce que nous venons de vivre, elle n’en est qu’un… dont je ne suis pas sûre qu’il soit jamais une réalité. Et s’il est une chose que j’espère, c’est que la situation ne bascule pas dramatiquement dans le sens opposé, car alors, tout pourrait arriver à ce pays, pourtant si riche…
Comme on le voit, les choses ne sont pas simples à évaluer, et émettre un jugement de valeur est la dernière chose que je veuille faire. Mais la fracture entre 2 peuples et 2 mondes me semble criante…et pour l’heure relativement silencieuse.
Comme je le disais plus haut, ceci n’est que le reflet de conversations que nous avons eues avec des blancs, et n’a pas plus de portée que cela. Le reste est mon impression, et n’engage bien sûr que moi.
Ce que je peux regretter est de n’avoir pas eu davantage de contacts avec les noirs, et notamment avec ceux qui font si peur aux blancs. Globalement, nos contacts avec eux sont cordiaux et même chaleureux, mais toujours liés à leur activité professionnelle (commerces, stations service, etc…). Nous sommes prudents, mais ne vivons pas notre voyage la peur au ventre !
Il n’en reste pas moins que nous ne regrettons par une seule seconde d’être là où nous sommes, et que ce pays, pour des gens comme nous, est une formidable découverte.
Rien n’est parfait en ce monde, nulle part.
Je vais cesser là mes tergiversations, et vous redonner le sourire avec quelques photos de ce qui reste un pays fabuleux !
Passez tous une bonne journée, et à bientôt !
Co (et Eric)