Carnets de route envoyés à la famille pendant la première session de deux voyages en Amérique du Sud en 2019.
Voici les premiers carnets, les autres à suivre...
VOYAGE 2019
Carnet de route n°1 - Montevideo - Uruguay
Les Amis,
Ce n’est pas le chant du départ mais sans doute une petite musique pleine de promesses qui met en joie et excite l’imagination. La musique du voyage, de l’imprévu, de l’ailleurs et du rêve.
Après deux ans de « méditation » Christine a souhaité repartir en Amérique du sud. Mais sud sud. Pas de vertiges péruviens au programme... Avec Anne et Jean Louis nous venons de récupérer les voitures à Montevideo pour filer dés demain vers Ushuaia.
Et l’imaginaire est comblé puisque la première étape nous emmène à Colonia del Sacramento.
Rien que le nom est une gourmandise. C’est bien sûr une histoire de chicanes hispanoportuguaises.
C’est donc reparti pour une balade sud-américaine de trois mois entre Argentine et Chili. Puisqu’il faut rattraper deux ans au garage une deuxième session est prévue en automne.
Et je reprends l’habitude de vous raconter nos tribulations, découvertes, émotions et coups de coeur.
Ca commence fort puisque j’ai bavardé avec un mendiant polyglotte, une demimondaine brésilienne fan de Bolsonaro et un top modéle cocaïnomane déchu... Le voyage ouvre l’esprit et attise la curiosité.
Bonne année à toutes et tous.
Christine & Olivier
Carnet de route n°2 - Rio Grande - Tierra del Fuego - Argentine
Le soleil dans le dos et le vent dans le nez nous descendons vers le sud. Monotone cette ruta 3 dont les interminables lignes droites se perdent dans l’horizon le long de
la côte atlantique. Un écart sur la péninsule de Valdés qui sur les cartes ressemble à une verrue. On y voit éléphants et lions de mer. Grosses bêtes puantes, éructantes et maladroites qui dans l’eau retrouvent un semblant de grâce. Les baleines ont déjà migré vers l’antarctique.
Nous reprenons nos habitudes dans la trapanelle qui encaisse les kilomètres comme nous les années; avec fatalisme et bonne humeur. Quittant la maison de Fouquereuil la surface habitable est divisée par 55. L’exiguïté de la «casa rolante » nous ouvre les grands espaces. Nous y avons déjà passé plus de deux ans.
Sur les pistes longeant la côte des panneaux préviennent qu’il y a des animaux en liberté. L’idée d’en faire partie en tant qu’animal qui essaie de penser me convient. Sauter les clôtures et aller vivre ses rêves sans autres contraintes que celles choisies et acceptées, c’est un peu l’idée du voyage.
De nombreux guanacos divaguent au bord de la route. Gros comme une biche la bête, pas encore encombré par la pensée, traverse à son gré...
Les pingouins de Punta Tombo sont indifférents aux commentaires des visiteurs. D’une démarche que l’on a connue présidentielle ils se dandinent du nid à la mer, du lit à l’assiette imperturbables et obstinés. C’est touchant.
Bivouac de rêve au bord d’une plage. Une goutte de mirabelle de Signy et le ciel tourmenté de nuages s’embrase dans l’incendie du couchant. Un spectacle à rendre fou un peintre. Nous verrons d’autres couchers de soleil grandioses. C’est une spécialité des contrées extrêmes. Peut-être à cause d’un air très pur?
La gentillesse des argentins est extraordinaire. Rendants service avec un mot gentil, tolérants, souriants et enthousiastes. Même les policiers sont sympas nous saluant d’un pouce levé. Autre pays, autres moeurs...
Nous avons traversé le détroit de Magellan. Une vraie émotion en pensant à ces navigateurs fous qui de tempêtes en récifs ont exploré ce dédale d’iles, canaux, baies et presqu’iles. Le canal est semé d’épaves de vaisseaux téméraires. Nous y reviendrons, j’ai envie d’aller bivouaquer à Port Famine.
Demain Ushuaia. Un mythe.
Hasta luego.
Portez vous bien.
Christine & Olivier
Carnet de route n°3 - Punta Arenas - Chili le 21 de enero
On sait que la Terre de Feu fut ainsi nommée par Magellan à cause des feux qu’entretenaient les indiens Onas et Alakalufes dans leurs campements côtiers. Mais certes pas à cause de la température ambiante. Ce soir 5°C et 80km/h de vent. Conditions normales ici en été.
Dans la trapanelle, eau chaude, chauffage et confort douillet sous la couette. Avec , par la guignette, un coucher de soleil renversant de beauté sur le canal de Beagle. Et une jolie musique qui nous transporte bien loin des contingences jaunes ou grises.
Pour arriver ici une longue route bordée de clôtures dans des paysages austères, vides, interminables, balayés par le vent et qui n’opposent rien au regard. Une station service comme une oasis tous les 200 km. Le voyage terrestre permet de mesurer l’immensité du continent.
Il a neigé cette nuit sur les sommets (1500m) autour d’Ushuaia. Normal pour un 14 Juillet austral. La ville n’est pas très belle mais l’écrin est somptueux. Coincée entre le canal de Beagle et les montagnes elle est à « la fin del mundo ». Destination à la mode pour les bateaux de croisière avec leurs caphorniers de salon qui bravent le vent dans les rues. Mais c’est un nom qui fait rêver.
Un bivouac d’anthologie au bord du canal de Beagle. Vent nul, température acceptable, un beau voilier qui embouque le canal. Repas dehors près d’un feu d’enfer en admirant le spectacle. Le vin de Mendoza était délicieux.
Le Beagle était le bateau de Darwin, le capitaine s’appelait Robert Fitz Roy. Magie des lieux et de l’histoire. L’imagination s’emballe.
Louisa parle le français. Appris sur l’oreiller avec un marin. Dans son minuscule restaurant -4tables- de Puerto Almanza -47 habitants- elle sert le meilleur gratin d’araignée de mer du détroit. Sa gentillesse, sa cuisine et le cadre vous emmène au paradis fuégien. Douze étoiles au Michelin!
J’aime essayer de parler espagnol. Avec les gags inévitables ; j’ai confondu anos et años, anus et années. Mon brave interlocuteur, fort tolérant, a souri... Mais je ne désespère pas au terme de ces quelques mois de voyage d’en savoir un peu plus que le kit de survie. Pour le plaisir d’échanger, de savoir, de connaître et d’aller au delà de l’éloquence du regard.
Traversée en diagonale de la Terre de Feu. Immensités désertes ponctuées de rares estancias. Le maître des lieux est le vent qui torture les arbres, sèche la plaine et envole les mouches. Ni répit ni abri. Il ne caresse pas mais violente. Les convulsions d’un dément puissant, sur de lui et dominateur. Cocon de la cellule bercée par les bourrasques.
Port Famine, Ile de la Désolation, Baie Inutile, Ile de l’Ultime Espérance, Golfe des Peines. La toponymie des Magellanes laisse imaginer ce que fut la navigation dans le Détroit. Au chaud, au sec et le ventre plein le rêve est sans risques. Seul l’âge donne une idée de ce que fut le scorbut...
Bonne semaine à toutes et tous
Christine & Olivier
Carnet de route n°4 - El Calafate - Argentine
Nous avons donc bivouaqué au bord du détroit de Magellan près de Port Famine.
Un vieux fantasme. Balade sur la rive bordée de hêtres de l’antarctique et de fuschias.
Dans le fond le cap Froward. Un des pires lieux de naufrages de la marine à voile. C’est là que se mêlent les eaux du Pacifique et de l’Atlantique. On ne distingue plus le ciel de la mer fondus dans un gris noir tourmenté de tempête. Les bateaux de la Marine Chilienne sont peints en noir; tenue de camouflage...
Dans le cimetière de Punta Arenas de grandioses mausolées un peu kitsch, des tombes ornées de Pères Noël, de figurines en plastique et de photos de famille. Des noms de toutes origines, beaucoup de serbocroates. Quel a été le destin de José Nelson Hidalgo Adamovitch mort à Punta Arenas en 1932?
Une oie bat vigoureusement des ailes face au vent. En cinq minutes elle a reculé de cent mètres. Vaincue, elle se pose. Flight cancelled. Ça décoiffe à Rio Verde!
Une de ses cousines gasconnes nous ayant légué son foie, nous avons du le faire passer avec un Sauternes respectable presque abrités derrière le hangar de tonte des moutons de l’estancia.
Des milliers de moutons en transhumance sur la Nationale 3. Une vingtaine de gauchos et leurs chiens pour mener cette marée stupide d’un kilomètre de long. Une voiture balai avec une remorque où l’on jette sans ménagements les éclopés . Spectacle surprenant La circulation se paralyse dans la bonne humeur.
Bivouac au milieu du vent. La trapanelle tremble sous ses assauts. Nous aussi, mais c’est à cause de la goutte de Mimile dégustée à titre thérapeutique en raison de ses vertus calorifiques. Eole, Morphée, Bacchus et Eros vont nous offrir une nuit délicieuse.
Au bivouac de Torres del Paine un aigle antarctique gros comme un coq de basse cour a fait une pose sur le capot de la voiture. J’ai du le gronder quand il a attaqué les essuies glaces. Il a sauté en bas puis est parti nonchalamment, presque méprisant, en laissant une fiente comme cadeau d’adieu.
Balade dans ce somptueux parc. Un des plus beaux paysages que j’ai pu contempler. Des hautes Torres enneigées les glaciers tombent dans des lacs tous de couleur différente. Epoustouflant!
En cette haute saison touristique les sentiers sont envahis de nombreux porteurs d’une maladie de découverte récente: le narcissisme 2.0 caractérisé par trois signes pathognomoniques. Un besoin irrépressible de tourner le dos au paysage pour, sur une photo, y intégrer sa face béate. Dans une main une perche à selfie tenue comme un sceptre. Dans l’autre main ou un petit sac une bouteille d’eau car le patient n’a guère plus de 500m d’autonomie sans se réhydrater tant son ego consomme. Signe fréquemment associé, une goujaterie qui le pousse à bousculer tout ce qui pourrait gêner l’immortalisation de son autosatisfaction.
Ernesto est un forban. Quittant le parc nous trouvons au milieu de nulle part pour le bivouac une vaste prairie sans clôture où nous nous installons entourés de guanacos. Une heure plus tard survient un pickup dont le chauffeur, Ernesto, descend pour nous ordonner de lever le camp au prétexte que nous sommes sur un terrain privé, le sien. La discussion s’engage et à notre grand étonnement il la poursuit dans un français parfait. Et le propos devient surréaliste; nous avons droit à un cours sur les vertus de l’alimentation à pH alcalin, la nutrition des cellules et le cours de la laine de mouton. Une heure durant il bavarde de choses et d’autres toujours en français avant de nous demander 40$ pour occupation du terrain. Finalement nous avons gentiment transigé à 20 le vieux forban nous ayant bien fait rire.
La suite quand nous serons revenus au Chili.
Portez vous bien.
Christine & Olivier
Carnet de route n°5 - Cochrane - Chili
Longtemps le glacier Perito Moreno a insolemment continué d’avancer de 2 mètres par jour à 300 m d’altitude. Il est à la même latitude sud que Fouquereuil au nord. Cependant lui aussi commence à faiblir et sa progression se ralentit. Mais le spectacle reste grandiose. Cette falaise de glace - 5km de large, 40 à 70m de haut - hachurée de toutes les nuances de bleu, crénelée, déchiquetée et découpée s’effondre en craquant dans le lac Argentino où dérivent les « glaçons » qu’il vomit. Fascinant! Beaucoup de pèlerins pour cette Mecque du tourisme. Smartphonepboto en guise de coran.
Etonnant, rassurant et sympathique le nombre de jeunes français qui voyagent sac au dos, en stop, randonnant et dormant sous tente dans cette Amérique australe. Seuls, en couple, avec des copains, pour quelques mois ou plus ils vivent un voyage initiatique et rayonnant bien loin de nos préoccupations ternes, jaunes ou grises. Ils sont avenants, curieux et enthousiastes. Rencontres rafraichissantes!
Au pied du Fitz Roy depuis deux jours en attendant qu’il se découvre. Un vrai steaptease, il montre une épaule, une jambe, mais pas encore l’essentiel, sa paroi verticale de 1200m. Comme au cabaret on patiente en picolant de temps en temps.
La musique, c’est le vent et les confettis, la pluie. Et comme nous, les escaladeurs portant des sacs à dos gros comme des armoires attendent l’embellie.
Finalement il a ôté son béret, le haut, le bas et l’a vu tout nu entouré des pics Saint Exupéry, Guillaumet et Mermoz. Pas de Lionel Terray qui fut cependant le premier au sommet en 1954. C’est très beau et impressionnant. Une petite randonnée pour le voir de plus près. Sentier parcouru par les porteurs de gros sacs et des marcheurs suants.
Embarqué un italien qui faisait du stop à mille miles de toute terre habitée. Il s’est effondré, desséché, dans la cellule et nous l’avons déposé à la station service suivante. Loin. Nous roulons cap nord dans l’aridité argentine. Un vide austère, désertique mais clôturé. Estancias de milliers d’hectares de misère.
Ce sud ouest argentin, c’est le Tanezrouft du Sahara. La même vacuité.
Au milieu un lac d’émeraude. Une petite dune, température clémente, pas de vent et un bon feu pour griller la viande. Bivouac doux et apaisant après quelques semaines de vent féroce.
Sous le regard admiratif des jeunes de l’année et pour parfaire leur éducation, le guanaco copule langoureusement en émettant des commentaires de satisfaction. Pas étonnant qu’ils soient si nombreux. Ils ne sont pas chassés et leur seul prédateur naturel est le rare puma. Parfois en sautant une clôture un jeune se prend dans les fils et sèche au soleil. En Patagonie, beaucoup, beaucoup de lièvres. Les imprudents tapissent routes et pistes. Dés qu’il’y a de l’eau, oies, flamands roses, échassiers divers et canards se réunissent en congrès coincoinant.
Quelques degrés de latitude vers le nord et c’est le grand beau. On quitte la polaire. Passage au Chili par une douane perdue au bout d’une longue piste torturante. Les jours d’affluence, trois voitures. Pas obsédés comme ailleurs à vous piquer toute la bouffe au prétexte de normes sanitaires.
On traverse un parc naturel tenu par des écolos intégristes. Il y a même un sentier interdit aux marcheurs mais réservé aux cyclistes qui n’existent pas dans le parc...
Au vu de la liste des interdictions, pas sûr qu’on ait le droit de s’arrêter pour pisser! Surveillance par des matonrangers. Nous irons donc bivouaquer ailleurs, près de leur cher rio, mais par des chemins détournés... Non mais!
A Cochrane ravitaillement aux Galeries Lafarfougnette version australe. Patates, jambon, savon, tampax, boulons de toutes tailles, fil à clôture, carabine Winchester, perceuse, biscuits, selles pour chevaux. Le catalogue de la Redoute revu par Prévert.
Profitant de la météo souriante nous filons vers le sud sur la mythique carretera australe construite il y a vingt ans par Pinochet...
Portez vous bien les amis.
Christine & Olivier